Demon Heart 8. Les âmes se trouvent, la porte des enfers

Sorayah en écolière devant une mosaique représentant Yggdrasil, l'arbre de vie
© yumeao

DEMON HEART

Acte 2 : Les alliés de l’ombre
Episode 8. Les âmes se trouvent, la porte des enfers

Une Histoire gratuite de démon / Lire le prologue

L’obscurité est totale. Sorayah glisse contre une surface rugueuse qui lui griffe la peau. Elle hurle et tombe. Sa chute semble ne pas avoir de fin. Elle tend les mains devant elle et attend longtemps.

 Je suis dans l’espace ?

L’impact la prend par surprise. Elle s’écrase les os et les dents contre un sol de béton. La douleur irradie dans tout son corps. Une autre douleur lui saisit le cœur comme si mille couteaux lui percaient les côtes. Sorayah essaie de se lever mais ses os en miettes, ses nerfs à vifs lui hurlent que c’est impossible. Elle se force à redresser la tête. Son cou craque, il brûle mais obéit.

Son corps est devenu transparent. Au niveau de son ventre, à travers les vêtements et la peau, elle peut voir une sphère rouge et brillante. La pierre laisse échapper du rubis liquide. C’est comme si toute sa douleur irradiait de cette fissure sur le rubis dans son corps.

Le sol devient mou. Quelque chose grouille en dessous de Sorayah. Des bêtes noires montent sur ses bras, sur son crâne et rampent jusqu’au rubis dans son ventre. Les bêtes grignotent le liquide qui s’en est échappé. L’une d’elle essaie de pénétrer dans la fissure sur la pierre. Sorayah hurle. Les bêtes pénètrent sa bouche.

Elle crache et se met debout d’un bond. Sorayah agite les bras comme un pantin. Ni les couteaux dans ses articulations, ni les aiguilles dans ses nerfs ne pourraient l’empêcher de se débattre. Elle n’est plus qu’un hurlement de souffrance, de terreur et de dégoût.

Un drap de velours tombe sur ses épaules, une couverture qui l’enveloppe totalement. Sorayah sent une fraicheur sur sa peau à vif. Ses brûlures s’apaisent. Des insectes grimpent sur la couverture qui la protège. Ils essaient de la déchirer. La couverture gémit d’une voix de femme :
–          Il faut te soigner mon enfant ! Ils ne vont pas cesser de chercher ton cœur !

Une main s’enfonce dans le ventre de Sorayah. La jeune fille hurle de douleur. La main effleure son cœur de rubis puis se retire. Son calvaire s’apaise aussitôt. La douleur dans tout son corps disparaît comme si elle n’avait jamais existé. La couverture recule. Le cœur de Sorayah brille plus fort qu’avant. Elle distingue ce qui l’entoure en ombres chinoises. La couverture est en fait une femme avec des longs cheveux et une robe aux manches évasées. A l’intérieur de son corps, un rubis brille faiblement. La dame dit :
–          C’est fini mon enfant…

Sorayah a envie de se jeter dans ses bras. Mais quelque chose l’en empêche, peut-être la façon dont la femme se tient en retrait. Sorayah s’écrie :
–          Merci Madame ! Comment vous vous appellez ? On est où ?
–          Dans le ventre du gardien Phenex. Un des mille bourreaux des limbes.

La dame fait un geste ample. Mille rubis parsèment le sol de la caverne. Ils sont d’un rouge terne. Sorayah sent une boule dans sa gorge.
–          Ils sont morts ?
–          Non, mais cela fait des centaines d’années que Phenex les vide lentement de leur énergie vitale.

La dame presse ses mains sur son cœur de rubis comme pour arrêter une hémorragie. Sorayah se secoue :
–          Je dois sortir d’ici.
La voix de la femme se brise :
–          Tu ne le peux pas… Parfois, les démons se battent entre eux. Alors le gagnant ouvre le ventre du perdant pour lui voler ses âmes. A ce moment-là, si tu as de la chance…

La femme joint ses mains comme pour prier.

ParfoisSi

Sorayah tombe à genoux. Ses jambes refuse de la porter. Elle se retient à la robe de la dame comme on se raccroche à une bouée. Elle veut parler mais elle est stoppée par une vision.

Une mer de flammes, des cris. Sorayah est au sommet d’une tour décorée de céramiques blanches et bleues. Elle regarde la ville à ses pieds. Jadis si belle, la ville aux maisons de grès blanc est à feu et à sang. L’armée ennemie a pénétré les enceintes. Vu d’en haut, des fourmis aux armures de sang se déversent par le pont-levis. Ils seront bientôt dans le château. Une petite fille aux cheveux blonds comme le soleil tire sur sa robe de soie et lève ses grands yeux gris vers elle :

« Mère… »

Un cri déchire tout.

Sorayah se réveille de sa vision.

La dame hurle. Elle essaie de lui retirer sa robe des mains. Sorayah la lâche. Elle découvre une petite perle irisée dans sa main. Le fragment de mémoire fond dans sa paume. La dame revient en tremblant :
–          Ne touche jamais une âme sans son autorisation…
Sorayah la regarde, toujours à genoux, trop surprise pour se lever. Elle s’écrie soudain :
–          Pardon madame ! Je veux juste sortir ! S’il te plait, aide-moi !

La dame secoue la tête :
–          Je suis désolée mon enfant…
Des larmes noires coulent sur son visage d’ombre. La lumière de son cœur s’atténue un peu plus.

Sorayah se ressaisit.

Je ne dois pas pleurer !

Elle détache son sac à dos de ses épaules. Alors qu’elle cherche à tâtons sa lampe de poche, quelque chose bouge dans le sac. Sorayah vide le contenu du sac sur le sol. Il n’y a rien d’autre que les objets qu’elle y a jeté. Les bêtes noires se précipitent sur la peluche d’Ylan. Sorayah les chasse et range le lapin au fond du sac avant de ranger tous les autres objets sauf la lampe de poche. Elle remet son sac sur son dos et enclenche l’interrupteur de la torche mais elle ne fonctionne pas. La dame s’approche :
–          C’est un objet de l’autre monde ? Une protection contre les ténèbres ?
–          Oui, mais ça marche pas.
–          Les âmes sans corps n’ont pas de force. Les corps sans âme n’ont pas de volonté.

La dame approche sa main :
–          Je peux ?

Sorayah lui tend la lampe. Lorsque la dame pose sa main dessus, elle est aspirée à l’intérieur. Le rubis de son cœur se découpe à la manière d’une pomme qu’on épluche. Les pelures de rubis se collent à la torche électrique. Ils virent au noir et dessinent un symbole entrelacé qui rappelle une pieuvre avec un bec d’oiseau.

Et la torche s’allume. Une bouffée d’espoir gonfle le cœur de Sorayah. Le faisceau de lumière frappe le sol de la caverne. Le sol grésille. Une odeur de chair brûlée envahit l’air. Des bêtes à mille pattes bondissent sur Sorayah pour l’attaquer. Mais dès qu’ils passent dans le faisceau de lumière, les insectes prennent feu. Ils brûlent de flammes rouges comme le rubis qui rayonne sur la poignée de la torche. Sorayah dirige le faisceau vers le sol, dans la chair de l’estomac du monstre.

Le sol tremble. Un hurlement étouffé retentit. La chair noire s’écarte pour fuir la lumière. Un fluide bleu coule de la blessure. Sorayah plante son poing dans la chair à vif :
–          Bouffe ça, sale monstre !

Hurlement strident. Le son se transmet directement dans les os de Sorayah. Le démon souffre. Mais Sorayah enfonce son bras de plus en plus profond jusqu’à ce que toute résistance cède.

Lorsqu’elle retire son bras, la clarté des limbes pénètre à l’intérieur. Elle est aveuglante dans ce monde de ténèbres. Sorayah sent sa force revenir. Elle lève son main à hauteur du visage. Son aura rose s’accumule autour de sa main. Sorayah ferme le poing et frappe le sol. Le ventre du monstre éclate dans une explosion de lumière.

Sorayah plonge dans la brèche. Elle s’extirpe de l’estomac du monstre avec dégoût. La puanteur de ses entrailles assaille Sorayah. Elle est maculée de pétrole et de jus de saphir. L’oiseau git sur le dos. Ses pattes tressautent de douleur. Son ventre n’est plus qu’un cratère. Des petites balles rouges s’en échappent une à une. Elles roulent dans la brume. Sorayah éteint la lampe. La dame en sort comme un génie arabe. Elle est fine et élégante. Elle a des yeux bleux en amande et des pommettes hautes. Ses oreilles sont pointues comme celles d’un elfe. Ses cheveux sont presque aussi clairs que sa robe blanche. Elle prend la torche de plastique dans ses mains comme on recueille un trésor. Elle relève les yeux vers la bête agonisante. Son regard s’emplit de pitié.

Le plumage blanc de Phênex est tâché. Ses grands yeux d’azur sont tournés vers le ciel. Il chante une triste complainte de sa voix d’enfant. Une colombe scintillante se forme sur son plumage. La colombe s’envole vers une porte de lumière dans les nuages. Mais la porte du paradis se ferme à son approche. La colombe se heurte à la porte. Elle se jette dessus comme une bête sauvage enfermée. Elle perd ses plumes. Ses ailes réduites à deux moignons, elle retombe. Elle se remet difficilement sur ses pattes et commence à picorer le sol.

Parce qu’elle n’a pas pu aller au paradis…

L’oiseau tourne ses grands yeux bleus vers Sorayah.

Sorayah part en courant.

********

Cette douleur et cette peur seule dans le ventre du monstre.

Cette sensation d’ivresse de déchirer à mains nues le corps de celui qui vous a fait du mal.

Ces grands yeux bleus et innocent qui se tournent vers elle.

Mais qu’est-ce que j’ai fait ???

–          Mon enfant ! Attends-moi, je t’en prie !

Sorayah s’arrête soudain :

Je suis pas seule…

Elle se tourne vers la dame qui la rattrape dans une envolée de voiles blancs. Elle est magnifique. Sorayah reprend son souffle et dit :
–          Je m’appelle Sor…
La dame pose une main sur les lèvres de Sorayah. Elle la retire aussitôt comme si ce contact l’avait brûlée.
–          Ne révèle jamais ton nom mon enfant. Les vrais noms ont du pouvoir.

Sorayah réfléchit :
–          T’as qu’à m’appeler Sor… Sorri ! Comment je peux t’appeler, toi ?

La femme écarte ses bras en un geste d’ignorance. Les manches de sa robe traînent au sol. Elle a une fine couronne d’argent dans ses cheveux d’or pâle. Elle ressemble à une reine elfe du Seigneur des Anneaux. Sorayah sourit :
–          Je vais t’appeler Galadriel !

La dame pose son regard doux et sage sur Sorayah.

 OuiC’est bien Galadriel

Sorayah demande :
–          Je dois descendre dans les enfers. Tu sais où est le passage ?
Galadriel secoue la tête. Elle dit :
–          Les limbes font déjà partie de l’enfer. C’est le premier cercle, celui de la solitude et de la nostalgie. Mais je peux te montrer la porte du deuxième cercle puisque que c’est ce que tu souhaites.

Galadriel se met en marche dans une envolée de robe. Elle glisse dans la brume comme un cygne.

*******

Le vent se lève. Il est de plus en plus violent à chaque pas. Le sifflement du vent couvre une autre rumeur. Mille bouches hurlent à l’unisson la terreur et l’incompréhension. Une rafale de vent arrache le dernier voile de brume. Un gigantesque cône de terre flotte dans les airs au dessus d’une carrière. L’île volante a été arrachée du sol.

Une tour se dresse sur l’île volante, si haute que son sommet dépasse les nuages. Une fresque de motifs aztèques s’enroule autour de la tour. Elle semble avoir été polie par le vent. Toutes les trois secondes, une lumière verte parcourt la fresque et s’éteint. Cinq contreforts forment les pieds de la tour. Ils ressemblent à des pattes d’insectes. Ils enjambent l’île et prennent pied dans une carrière. Chacune des pattes se finit en une gueule de gargouille aux yeux d’émeraude. Ces gueules expulsent un flot d’âmes qui semble ne pas avoir de fin. Les âmes qui sortent des gueules des gargouilles s’accumulent dans la carrière. Elles sont si nombreuses que vue d’en haut, elles forment une mer d’âmes.

Les âmes sont nues, exsangues et brisées. Elles se recroquevillent sur elle-même ou se battent comme des chiens. Elles se montent sur les autres pour rerentrer dans la gueule de la gargouille. Mais le flux des âmes les entraînent en arrière.

A travers les cris de terreur, une rumeur se propage dans la mer d’âme :
–          Là haut… Il existe une porte pour repartir. Là-haut…

Les âmes prennent d’assaut les pieds de la tour comme des grappes de fourmis s’élancent en vagues pour escalader un arbre. Certaines, plus agiles, arrivent à atteindre l’île. Là, elles se battent pour entrer dans une ouverture lumineuse au pied de la tour.

–          C’est la porte du paradis ? Demande Sorayah.
–          Nous l’appelons la porte de la seconde chance. On dit qu’elle permet de se réincarner.
–          Et la porte du deuxième cercle, elle est où ?

Galadriel tend un doigt vers l’ombre juste en dessous de l’île. Les âmes qui ratent leur ascension tombent dedans. Mais ce n’est pas une ombre, c’est un trou béant. Tout autour, les âmes se pressent pour s’en éloigner.

Sorayah saute dans la pente de la carrière. La roche s’effrite sous ses pieds comme de l’ardoise. Derrière elle, Galadriel a le pied sûr d’un elfe. Sorayah avance en ligne droite vers la porte des enfers. Les âmes s’écartent sur son chemin.

Sorayah parvient au bord de l’entrée béante et noire dans le sol. Les âmes pleuvent dedans. Elles y disparaissent, rongée par les ténèbres. La seule chose qui s’échappe des abysses, ce sont des cris. Des cris rauques, des cris suraigus, des cris qui s’étouffent dans un sanglot, des cris à peine articulés hurlant pitié. Des lettres de feu apparaissent dans les airs devant Sorayah. Elles forment une phrase en calligraphie arabe. Sorayah n’est pas capable de la déchiffrer. L’arabe se transforme en lettres françaises tracées à la plume, à peine plus lisibles. Les lettres deviennent des caractères d’imprimerie. Sorayah n’a plus de doute sur le message :
–          Vous qui pénétrez ici. Abandonnez tout espoir.

Galadriel frémit et demande :
–          Tu sais ce que cela signifie ?
Sorayah secoue la tête. Galadriel dit :
–          Entrer est facile, mon enfant. Ressortir est presque impossible.

Galadriel attrape le bras de Sorayah et le serre fort. Elle ferme les yeux un instant. Lorsque Galadriel retire sa main, sa paume est noire. Il y a une perle dedans. La perle se dissout et sa peau reprend sa pâleur habituelle. L’elfe dit :
–          Mais tu iras le chercher quand même…
–          Oui. Répond Sorayah. Je dois le faire.

Sorayah avance d’un pas, le dernier sans risquer de tomber dans le gouffre.

Noir… Si noir

Ses entrailles fondent. Ses jambes tremblent. Elle tombe à genoux.

Je dois le faire

Elle repense à Ylan, à ce gamin qui se baladait avec son doudou dans ses bras, à ce sale gosse qui essayait d’attraper le chat par la queue et qui hurlait en se prenant des coups de griffes, à ce petit frère au regard noir suspendu au dessus du vide. Douleur… Sanglot… Le souvenir est plus clair qu’il ne l’a jamais été. Sorayah aperçoit trois grappes d’yeux de saphir dans l’ombre derrière son frère. L’araignée savoure le spectacle de son frère brisé. Une voix terrible résonne à ses oreilles :

« C’EST A MOI »

Sorayah pousse un cri de rage. Elle bondit dans le gouffre.

Une couverture flotte sur ses épaules.

Galadriel a sauté avec elle.

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A suivre: épisode 9. Les âmes s’allient, l’antre du démon


Commentaire sur l’histoire:
Petit détour dans le chemin de Sorayah pour raconter l’histoire de Phénex. J’aime son ambiguïté, j’ai du mal à le considérer comme un vrai démon. Il a le caractère d’un enfant, cruel par ignorance. Phénex est arrivé comme ça, au détour de l’écriture. Dans l’intrigue originale, Sorayah était sensée se cacher à l’intérieur d’une caverne et y rencontrer Galadriel. Galadriel est un nouveau personnage important pour moi. Pas pour l’action, pas pour la romance. Juste pour ce qu’elle est. Et elle aura son rôle dans la compagnie d’aventuriers que je suis en train de former autour de Sorayah.


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Auteur : Ghaan Ima

J’écris depuis 10 ans, j’ai des idées plein la tête d’univers de SFF inspirés de mangas : geeks, otakus, anarchistes sur les bords et un peu barrés.