Femme ou homme, un personnage est juste un humain. Pas si sûr…

une femme se maqueille avec sur la tête le bandeau doré de wonder woman
une femme se maqueille avec sur la tête le bandeau doré de wonder woman
© Mbragion – Pixabay

Je viens de lire un article intéressant sur le blog de Dorian Lake, un ami auteur. Il parlait de la difficulté en tant qu’auteur homme ou femme à se mettre dans la peau d’un personnage de sexe opposé. Selon lui (et je partage son opinion), bien travailler son personnage permet de passer outre cette difficulté. Il notait cependant qu’il faut garder à l’esprit certaines différences entre hommes et femmes, dont une fondamentale : « un homme peut tuer une femme à mains nues ». OK c’est extrême mais cela renvoie à une différence dans le rapport de force, qui existe entre homme et femme. Ce à quoi quelqu’un a répondu très prosaiquement en commentaire que (je schématise) : « ça ne compte pas car une femme qui est entraînée peut aussi tuer un homme à mains nus ».

oO +_+

Oui, dans la vie de tous les jours, on en arrive pas là, oui, il y a quelques rares femmes capables de tenir tête. Mais le sentiment en tant que femme face à ce rapport de force dans certaines situations est écrasant: la peur d’être frappée ou pire. Bon, ma réponse aurait été trop longue pour un simple commentaire alors j’en ai fait un article. Je vais essayer de rester objective.

Malgré ce qu’Hollywwod essaie de nous faire croire avec leurs héroines « badass » sortie d’un manuel machiste des années 50,  sur terre, il n’y a peut-être que 5% des femmes qui sont championnes de MMA, de boxe Thaï ou de Krav Maga. En pratique, pour 95% des autres, très jeune, une fille se rend compte qu’il y a un truc pas pareil, un truc pas juste et anxiogène, un truc qui la marquera à jamais même si ce n’est qu’au niveau inconscient. Messieurs auteurs hommes, laissez-moi vous dire comment cela s’est passé pour moi. Jusqu’à 13 ou 14 ans, je me battais avec des garçons et je gagnais. Et puis un matin, je me suis rendue compte, pas forcément dans la violence mais dans les chamailleries, que je ne faisais plus le poids face à un mec. J’ai tout d’abord ressenti une forme de frustration et de jalousie. Puis, en vieillissant, au fur et à mesure des rencontres à l’école, dans la rue et dans le train, des insultes et des coups de pression, j’ai pris conscience de cette évidence :

« face à un homme en colère, tu t’écrases ».

On ne sait jamais comment ça peut dégénérer face à un inconnu. Qu’il ait tord ou raison, qu’il soit fort ou faible, blanc ou noir, vieux ou jeune, pas la peine de chercher : « face à un homme en colère, tu t’écrases ». Peut-être que je suis extrême dans mes réactions et dans mon vécu mais je me demande si un homme, d’emblée, peut comprendre ce sentiment terrible d’égo frustré qui donne envie d’arracher la langue et les yeux de celui d’en face alors qu’au final, cette pulsion de violence est condamnée à être toujours refoulée. Rien. Jamais ! Jamais, je ne pourrais à mains nues, dans l’instant, m’en prendre à un homme qui me manque de respect. Jamais. Les hommes ont le droit, concrètement, de me dire tout ce qu’il leur passe par la tête, le droit de faire ce qu’il ont envie devant moi, le droit de me manquer de respect, un respect que je ne peux pas leur imposer. Et il faudrait qu’un homme aille très loin pour que quelqu’un d’autre s’interpose. Et encore, ce sera un homme qui s’interposera. Un homme qui pourra me protéger si l’envie lui en prend, ou pas.

 Et il existe d’autres différences fondamentales entre vous et nous : le rapport à la douleur en est une. Très jeune, une femme apprend que la douleur est inhérente à sa condition, les cheveux longs que maman coiffe durement en vous servant un « tais-toi, faut souffrir pour être belle », pas bien différent de ce que les mamans chinoises devaient dire à leur petites filles en leur broyant les doigts de pieds pour les bander, ou à ce que les femmes de chambre répétaient en serrant le corset des demoiselles. Des corsets, des pieds bandés, des talons qui vous rendent encore plus vulnérables que ce que vous êtes déjà, encore plus dépendante aux hommes. Et ces autres douleurs : les règles, l’épilation, l’enfantement. Je me demande si cela ne nous rend pas mieux résignées et plus encline à supporter les sadiques, la domination et l’injustice. Mais là n’est qu’une hypothèse. La seule vérité est que les hommes grandiront sans ce cycle d’écrasement et de souffrance inhérent à notre naissance. Alors oui, les femmes peuvent parfois être hystériques sans raison. Ce n’est pas qu’une histoire d’hormones (même s’il est impossible de le nier), c’est aussi dû à ces montagnes de peur, de frustration, de refoulement et de contradictions qui s’empilent au fond de notre cœur.

 Quid des hommes ?

Pas la peine de tomber dans le misérabilisme. Même si c’est difficile à appréhender en tant que femme, certains garçons subiront une autre pression, peut-être plus terrible encore :

« Ne pleure pas », « Défends-toi tout seul », « Ne montre jamais tes doutes », « Bref, sois un homme mon fils ».

Sur un garçon dont l’empathie est proche du zéro, ces mots ne feront pas beaucoup plus de mal, mais sur un garçon de tempérament sensible et poète, un émotif aux larmes faciles… Que de souffrances, que de terreur d’être rejeté, que d’interrogation sur sa valeur en tant qu’être humain. Et là, une différence fondementale se créera selon le milieu social. Un fils de bobo/hipster/new age aura plus de chance de laisser libre cours à son vrai caractère tandis qu’un garçon issu d’un milieu réactionnaire, riche ou pauvre, devra faire un effort monumental pour combattre ce qu’il est, un effort qui pourrait bien le détruire ou le tordre à jamais.

 Tout ça pour dire qu’au-delà de la différence la plus fondementale liée au genre, l’éducation et l’environnement change tout. Je me demande quelle éducation Margaret Tatcher a bien pu recevoir, quels traumatismes elle a dû surmonter enfant, pour accomplir ce qu’elle a accompli dans un métier de politiciens, c’est-à-dire d’hommes à tendance sociopathe, dominateurs et manipulateurs.

 Alors comment se plonger dans la peau d’un personnage de sexe opposé ?

 Le travail. On nous conseille souvent d’écrire sur ce que l’on connait. En fait, on peut écrire plus facilement sans trop se creuser la tête sur ce que l’on connait. Si un auteur se contente de dire : « mon héroine est une femme, elle est blonde et elle aime les chaussures ». Bien sûr qu’un homme aura du mal à créer un personnage crédible avec cette caractérisation sommaire. Alors qu’une femme, inconsciemment ira poser ça et là des petites touches de frivolité mais aussi de frustration et de manque de confiance en soi qui vont avec l’addiction au shopping. En tant que femme, on n’aura pas besoin de travailler, on sait, on a déjà ressenti cette pulsion entre la coquetterie et le lâcher prise, et on a déjà remarqué que cette envie devenait plus forte en période de stress. L’auteur homme lui, devra aller beaucoup plus loin pour donner un minimum de consistance à cette femme et s’éloigner des clichés. A part, si il a grandit avec trois grandes sœurs et qu’il a passé son enfance à les voir se ruer chez H&M à la moindre contrariété.

 Bref, le travail est la clé. Homme ou femme, riche ou pauvre, sociopathe ou emo, pour créer un perso, il faut le caractériser dans ses moindres détails, l’apparence, le ton, les relations avec les parents, ses hobbies, etc. Mais aussi aller au-delà : écrire la backstory complète du personnage pour identifier ses manques, besoins, forces, faiblesses, événement traumatisants, rêves et espoirs, peurs, désir conscients et inconscients.

 C’est ce qu’on appelle définir « le vrai caractère », ce qui va au-delà de la forme en 2D. Il faut se poser des questions, y répondre puis réfléchir à ce que cela implique. La maman de votre super héros (mâle ou femelle) ne lui faisait jamais de calin ? Bien… Allez donc faire un tour sur wikipédia étudier la théorie de l’attachement et voir ce que cela impliquera sur ses relations avec les femmes et les hommes. En matière de création de psyché, l’effet papillon s’applique en plein : plus on remonte dans le temps, plus un petit événement peut avoir des conséquences terribles.

 Je fais ma donneuse de leçon, pas que je pense avoir tout compris, mais ça fait trois mois que je me bats avec deux romans dont l’idée de départ est bonne mais où j’ai fait l’erreur de ne pas avoir suffisemment travaillé mes personnages en amont, hommes et femmes. Alors qu’une petite dizaine de pages de blabla sur chacun de mes perso principaux et quelques jours de recherches sur Internet m’auraient épargnée une réécriture complète de mes histoires.

 Bon je retourne travailler ! Bon courage avec vos perso, hommes ou femmes ^-^

 Si vous avez d’autres conseils, des critiques ou du vécu à partager, écrivez un commentaire !


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Auteur : Ghaan Ima

J’écris depuis 10 ans, j’ai des idées plein la tête d’univers de SFF inspirés de mangas : geeks, otakus, anarchistes sur les bords et un peu barrés.

  • Merci pour ce billet très personnel et que je trouve touchant. Je pense qu’il touche à des fondamentaux, qui font peur et qui sont intimes mais qui peuvent vraiment aider dans notre travail d’écriture. Ce n’est définitivement pas un métier facile !

    Pour la notion du travail, je dirais qu’il s’agit surtout d’un travail sur soi à effectuer. Faire des fiches de personnages détaillées fonctionne pour certains auteurs, mais personnellement j’ai du mal avec cela et ce n’est pas comme ça que naissent mais personnages. Par contre, être ouvert et faire preuve d’empathie, c’est important et n’est pas toujours simple.

    • Merci… Oui je me suis un peu lâchée :p
      ta remarque sur l’empathie est très importante. En effet, j’ai aussi souvent remarqué qu’en écrivant je peux (comment dire ça sans avoir l’air taré. ..) comme entrer en transe et j’ai vraiment l’impression d’entrer dans la peau du personnage, de ressentir ce qu’il ressent. Après, comment on peut développer ça et s’entraîner pour mieux écrire, je sais pas…

    • Pour l’empathie et entrer dans la tête d’un personnage, la façon qui s’est imposée à moi un peu par hasard c’est le jeu de rôle. Jouer un personnage à la première personne, parler pour lui, connaître ses limites et ses faiblesses et réagir du tac-o-tac à l’inattendu, c’est une aide incroyable. Mais, cette solution n’aide pas forcément immédiatement notamment (3 adverbes de suite, ne faîtes pas cela chez vous les enfants…) dans la question du genre: ça peut être assez intimidant les premières fois de jouer une femme quand on est un homme, par exemple, car il faut que ce soit si fluide que les autres joueurs ne se posent même plus la question. C’est un très bon entraînement…

    • ah le jeu de rôle… la voie royale pour apprendre à devenir écrivain tant du côté joueur que maître de jeu ^-^
      +1 mort aux adverbes

  • Le commentaire prosaïque c’était moi. XD
    En fait je sens bien que ça a mal été interprété. Perso, ayant vécu (dans un autre sens) quelque chose de similaire, je comprends tout à fait ton point de vue, et mon comm n’était pas là pour effacer cet état de fait mais plus pour jouer l’avocat du diable. Oui, physiquement un homme peut écraser une femme. Mais je constate aussi que les gens qui ont les meilleurs reflexes face à une bagarre par exemple, sont tous des hommes. Parce qu’on leur a appris.
    Et en tant que non-binaire, j’ai surement une vision complètement différente des rapport de forces justement. Si mon comm t’as énervé, je te fais mes plus plates excuses, ce n’était pas mon intention.

    • oups! non pas énervé! t’inquiète pas! Juste quand je suis pas d’accord, je suis cash 😉 c’est moi qui peut être un peu vexante! De plus, je peux dire de belles conneries, il ne faut pas hésiter à me tacler lol!
      Je comprends mieux ton point de vue, c’est vrai que culturellement, les hommes sont plus entraîné que les femmes à se défendre…