Un cri dans la nuit, je reviens du salon du livre

À toutes celles qui ont un jour pleuré…

Persuadée d’absolus, en quête de vertus, nouvelles.
D’odes à la bagatelle, je me suis goinfrée.
Quelques livres butinés au hasard…
Quelques pages tournées sans fard…
Des ouvrages aussitôt refermés.
Je suis désolée illustres inconnus, mais vos livres ne m’ont pas touchée.
Et je n’ose plus regarder les miens.
Miroir sans tain.

Je dois être trop vieille ou pas assez.
Je suis pourtant de celles qui assènent cette loi comme un chemin de croix: «Certes, les mots ne se valent pas mais la beauté se cache par-delà: l’idée.»
Est-ce vrai?
Permettez-moi d’en douter, au moins ce soir.
Car j’ai vu une jeune fille pleurer.

Laissez couler les sons!
Laissez vivre les rimes!
Assez de tuer la narration pour faire illusion.
Non, mes amis, nous ne savons plus écrire.
J’ai honte de nos mots.
Aseptisés, aux méthodes, javellisés.
Honte de m’être comparée à d’autres qui sont morts en nous laissant leur pages en héritage.

Nous croyons savoir, nous écrivons, nous dévorons, des œuvres plates et molles, douces et sucrées, ou parfois trop salées, à l’image de ce que nous bouffons.
De la confiture à des cochons.
Une littérature vite expédiée.
Escales de papier éphémères dans un océan d’éternité.

Le monde a changé mais, égal, certains sont restés et rien ne saurait les détrôner.

Et surtout pas ces narrations sans l’âme de personne.
Ces descriptions à l’acétone.
Tout a été lavé, je ne sens que le solvant de l’encre séchée.
Et si, en son antre, la plume pouvait crier,
Ne supplierait-elle pas qu’on la laisse se délier?

J’avais oublié que les mots ont leur vie propre et qu’ils prient pour qu’on les anime.
La première à clamer que l’histoire est reine.
La dernière à regretter que la magie se traîne.
Non, vos mots ne m’ont pas touchée.
Et hier, j’ai vu une poète pleurer.

Je voudrais juste vous dire, à vous mes sœurs de martyr.
N’ayez pas honte de vos mots quand on vous les tord, qu’on vous les meurtrit.
Sachez lire vos envies.
Écoutez les petits êtres qui papillonnent derrière vos lèvres.
Vos rêves alors vivront bien plus qu’une nuit.
Car la manière de les incarner renferme la vraie magie.
Œuf de cent ans.
Ambition d’antan.
Alors laissez s’envoler la fièvre qui pourrait susciter l’ire, du lecteur, de l’éditeur.
Désolée, j’avais juste oublié que j’étais poète avant d’être…
Quoi, au fait?

Hier, je me suis revue pleurer.
Et je me suis rappelée que c’est pour sécher mes larmes que j’ai laissé mes armes se faner.

J’ai envie de narrer quelques fantasmes, certes. D’être reconnue, assurément. D’être lue, surtout.
Mais je suis lasse de la sécheresse que je vois partout.
Lasse de brûler mes pages.
Lasse de castrer mes images.
Lasse, enfin, de toujours vouloir me fondre dans un moule dont je ne vois même pas les parois.
Mes yeux ne sont plus capables de voir.
Il fallait bien les coudre pour y croire:
Que la médiocrité de mes intrigues vaut plus que la poésie de ces lutins terrifiés aux couleurs étiolées.

Si encore j’avais quelque chose à dire!
Au lieu de répéter ce que tant d’autres ont déjà hurlé.

Non, les mots ne doivent pas sécher.
Les cœurs.
Qu’importent toutes leurs règles de lisibilité…
Qu’ils pleurent!
Chacun son tour.
Le nôtre viendra un jour…

*******
Enfin, pardonnez-moi ce poème, décousu et mauvais.
Dix ans que je n’avais pas écrit.
Mais je doute tellement en ce moment.
Et j’ai vu une jeune fille pleurer.
Et je n’ai pas oublié, pas encore digéré, ces larmes que j’ai moi-même tant versées.
Ou peut-être, suis-je simplement vexée que, si vite, ces choses fades entre mes mains aient été publiées.
Et pas moi, ego maltraité.
Alors, à toutes celles qui ont un jour douté,
Parce que leur prose n’était «pas au niveau» ou leur idée «bateau».
Je voudrais juste crier que l’absolu n’est plus et que celui qui prétend détenir la vérité ne fera que vous briser.
Je voulais vous dire…
Muse est unique.
Plume est unique.
Structures et règles sont multiples et parfois, elles s’excluent, ou se marchent dessus.
Alors n’ayez pas peur de les piétiner.
Cela ne fera que raviver les saveurs oubliées.

Les modes passent, les étincelles seules, jamais, ne trépassent.

Auteur : Ghaan Ima

J’écris depuis 10 ans, j’ai des idées plein la tête d’univers de SFF inspirés de mangas : geeks, otakus, anarchistes sur les bords et un peu barrés.