Interstellar VS Gravity

Black hole interstellarLa grande question: Pourquoi pardonne-t-on ses incohérences scientifiques à Interstellar et pas à Gravity?

Attention spoil… Attention spoil…

La souris vs l’éléphant

Sandra saute de satellite en satellite? Bon. Viser un sas à cette vitesse et cette distance, c’est comme essayer de rentrer un fil dans le chas d’une aiguille avec ses orteils. Et cette chère Sandra ne se contente pas de défier les lois des probabilités, elle le fait plusieurs fois de suite pour chaque situation: 2 ouvertures blastantes de portes qui auraient dû la propulser vers l’infini et au delà, 2 Ping-Pong en gravité zéro… et j’en passe. Mais je ne m’attarderai pas sur toutes les incohérences de Gravity. Pour ceux que ça intéresse et qui lisent l’anglais, lire cet article.

Dans Interstellar, il n’y a pas tant d’incohérences, mis à part le fait qu’approcher d’un trou noir est une très mauvaise idée. Tu serais étiré et pressé jusqu’à former une longue spaguetti de la taille d’un atôme, voire moins ^-^.  Mais les auteurs résolvent ça très bien en disant que les humains dans un futur lointain trouveront une solution pour y remédier. Dans mille ans, pourquoi pas? C’est comme le cryo sommeil. Dans quelques dizaines d’années, pourquoi pas?

Car il n’y a aucune limite aux inventions de l’humanité. C’est le postulat tacite de la SF. Tu l’acceptes, ou tu sors. Comme en Fantasy, si tu refuses d’accepter la magie, tu sors. Mais en SF, comme en Fantasy, le bon sens et la crédibilité doivent compenser des postulats déjà durs à accepter. C’est le contrat. Si Sandra avait eu un exosquelette et des lunettes de visée en réalité augmentée, la moitié des incohérences de Gravity auraient été pardonnées.

Juste en passant, la vraie question soulevée par Interstellar est: « Comment l’humanité du futur a-t-elle créé le trou de ver si elle était condamnée? » Est-ce l’oeuf qui a fait la poule ou la poule qui a fait l’oeuf ? Mais bon, les paradoxes spatio-temporel, le Doc nous a bien dressé: On évite d’y penser sinon l’univers explose.

L’intrigue vs le plot device

Dans Gravity, la plupart des incohérences sont là juste comme « Plot Devices ». Des instruments pour faire de l’exposition, informer l’audience, ajouter du suspense… C’est de la paresse de scénariste à l’état brut. Pire, le même Plot Device, est utilisé plusieurs fois! L’ordeal de la porte qui blaste, l’ordeal du manque d’oxygène… Soit dit en passant, 6 ordeals en tout, ça fait pas mal. Or, il y a une règle importante en scénario: si un événement se répète, il perd son intensité dramatique. Avec les repeats de Sandra, il n’y a pas que la science qui en prend un coup. L’intérêt de l’audience aussi.

Une bonne façon de tester la structure d’une histoire, c’est de la transposer dans un univers connu. Imagine que Sandra soit sur terre, poursuivie par une tornade… La jeune femme change de voiture l’une après l’autre (toujours en sautant à travers la fenêtre à la Jackie Chan). Ses voitures se font hacher menu mais elle-même, petit morceau de chair, reste intacte. Question: Pourquoi la tornade s’obstine à la suivre? Et même si la tornade va tout droit, pourquoi les voitures sont-elles toutes alignées sur son passage?

Alors que dans Interstellar, l’incohérence scientifique est là parce que sinon, l’ensemble du film perdrait son fondement. Tout est lié à ce trou noir. A part cela, les règles de la relativité restreinte et générale n’ont pas été respectées, elles ont été transcendées. C’est-à-dire, elles imposent des choix très durs aux personnages. Elles créent de véritables dilemmes dramatiques.  C’est la différence entre la paresse et la recherche bibliographique, entre les intrigues cousues de fil blanc et une intrigue dramatique.

La symphonie vs la soupe

Bien sûr, le trou de ver de Interstellar remplit le même office que l’eau dans Gravity, celui de la renaissance. Bien sûr, le héros a un mentor. Mais celui-ci n’a pas besoin d’user ses derniers % d’oxygène pour expliquer à un médecin (i.e. l’audience) ce qui arrive lorsqu’on manque d’air. Il utilise sa position de mentor pour manipuler le héros (intrigue, intrigue). Dans Interstellar, les règles du scénario du Writer’s Journey de Vogler (article sur sa méthode à lire ici) ne sont pas bêtement appliquées, elles sont maîtrisées.

Alors pourquoi la bande annonce de Interstellar était-elle si peu vendeuse? Car l’histoire est trop complexe pour être dévoilée dans n’importe quel ordre. L’intrigue est découpée en trois actes de taille égale (testé montre en main). Chaque acte a ses propres révélations, ses propres enjeux. Le suspense monte sur des sous intrigues distinctes, sur terre et dans l’espace, pour aboutir à un climax par acte. Ici, un climax n’est pas une énième explosion de satellite! Un climax est un choix difficile: un choix entre deux irréconciliables biens ou deux également abominables maux. Interstellar, c’est aussi la maîtrise des préceptes de Story de MacKee (lire l’article sur sa méthode).

L’humain vs la 3D

Mais la vraie question que pose notre petit exercice est:

« Quel est l’intérêt de voir une nana courir toute seule devant une tornade? »

Quel est le message profond de Gravity?  Ne me dites pas que c’est: « Jusqu’où est-on prêt à aller pour survivre? » Car Sandra ne va nulle part! Elle ne sacrifie personne, ne prend aucune décision importante: elle court avec plein de jolis débris qui flottent en 3D autour d’elle. Mais surtout, personne en face n’agit pour remettre ses éventuels choix en question par son comportement. Il n’y a pas d’interrogation…

Aussi folle que je paraisse, je pense que dans Interstellar, la science, c’est secondaire: comme le dit le héros: « Nous pourrions être sur un voilier, nous sommes des explorateurs« . Ce qui compte, c’est la façon dont les différents personnages réagissent face à la mort, non seulement leur propre mort et celle de ceux qu’ils aiment mais aussi l’extinction de leur peuple. Dans ce film, chacun est le héros de sa propre histoire. Je ne crois pas que Matt Damon ait un rôle si secondaire que cela. Il pose la grande question de toute bonne histoire:

« Qu’aurais-je fait si j’avais été Allemand en 41? »

La question peut changer, la réponse est invariablement la même: « Comment peux-tu savoir ce que tu aurais fait? Comment peux tu savoir si tu ne l’as pas vécu? » Une histoire, nous offre la vérité par la métaphore, c’est « la pensée en action » selon Edgar Morin (article sur cette théorie à lire ici). Matt est le contre exemple et la graine du doute. Il est le 1 sur 12. C’est déjà beau comme statistique, j’aurais penché sur du 50%.

Juste un petit apparté sur les métaphores. Que représentent le fils et la fille du héros dans Interstellar? ^-^

Conclusion: Erreur sur le nom

Je ne dis pas qu’un auteur ne peut pas faire d’erreur. Je dis juste qu’avec les millions de $ sur le coup, les producteurs auraient pu engager un scientifique de la NASA comme consultant, ce qu’aucun écrivain ici ne peut se permettre. Gravity méprise son audience alors que Interstellar nous prend pour tout, sauf pour des crétins. Bref, Gravity aurait été un très bon titre pour Interstellar qui le méritait bien mieux.
planetes
Cerise sur le gateau pour les fans de manga qui ont vu ou lu Planetes de Makoto Yukimura, les scénaristes de Gravity ont repris les meilleures scènes de l’anime en envoyant valdinguer toute cohérence scientifique.

Et un peu de science:

Pour ceux qui se sont fait retourner le cerveau par Interstellar, des livres à lire, très simples ^-^

Tout est relatif! Tome 5 des aventures d’Anselme Lanturlu

Le trou noir. Tome 4 des aventures d’Anselme Lanturlu

Et juste pour le fun, pour ceux qui parle anglais, Neil DeGrasse est clair et très drôle lors qu’il parle des trous noirs:


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Auteur : Ghaan Ima

J’écris depuis 10 ans, j’ai des idées plein la tête d’univers de SFF inspirés de mangas : geeks, otakus, anarchistes sur les bords et un peu barrés.

  • Bon, je le dis tout de suite, je n’ai aimé aucun des deux.
    – Gravity; le postulat de départ c’est que: voilà une catastrophe réaliste dans l’espace. Sauf que, c’est pas réaliste. Donc, le film est une arnaque, tout simplement. Et c’est d’un long… Je n’ai pas pu aller jusqu’au bout.

    – Interstellar: c’est différent. J’ai bien aimé le début, l’ambiance anti-scientiste et assez flippante. Les choix des héros, la tension de fin de monde. C’était assez prenant comme cadre et les personnages sont assez bien.

    Mais là où interstellar trahit, c’est qu’il place le métaphysique au centre du récit. « Il faut suivre son cœur », c’est un joli message, certes, mais dans une histoire de cœur. Là, la morale tape à côté de la plaque et nous présente des solutions qui n’étaient pas non plus dans le postulat de départ du film.

    On peut mêler SF et métaphysique (Matrix le fait très bien, par exemple), mais là c’était une solution de facilité qui m’a complétement sorti du récit.

    • Hum… j’avoue que cette histoire d’amour m’a un peu déçue mais ça arrive très tard dans l’histoire. Perso je ne l’ai pas perçu comme une solution de facilité.
      En fait, ils auraient pu facilement transformer ça en théorie pseudo scientifique en inventant un « champ » d’un nouveau genre qui lie les personnes et qui n’obéit pas aux lois de la relativité. Ou un autre truc plus chiadé. Il y a assez de théories du côté des systèmes complexes pour que les conseillers scientifiques et les scénaristes pondent un truc. Je pense que c’est de la pure mièvrerie et de la morale hollywoodienne. Un peu agaçant mais j’ai l’habitude. Et après une intrigue si bien menée, je peux bien leur pardonner ça, tant que je dois pas me taper un drapeau américain flottant au vent comme dans tant de films!

      Merci pour ton retour en tout cas!