Ghola-épisode 2: L’ordre de Saint Mickaël

Ghola, Roman Nanowrimo 2014

red moon

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2. L’Ordre de Saint-Mickaël

 La horde approche. Elle n’est plus qu’à quelques pas, le concert des gémissements recouvre tout, entre feulements de fauve enragé et gémissements de bébé. Horrible. Mais Télémake roule à leur rencontre en levant son arme. Le sel coule dans les rainures de la lame. Il ne coulera plus bien longtemps mais qu’importe ! Il perce la gorge d’un zombie de la pointe de son couteau. Il agrippe les cheveux poisseux de la goule et arrache la lame pour trancher la tête. L’argent pénètre comme dans du beurre dans la chair maudite. Le sel jette des rais de lumière. Télémake jette la tête au loin. Il donne un grand coup de patin dans le cul du corps décapité pour le propulser plus vite vers Simon.

 Trois zombies arrivent à sa hauteur, passent sans le voir, il est invisible pour eux. Ils ne voient que Simon. Télémake fauche l’un d’eux avec un croc en jambe. Il retient celui du milieu par ses vêtements pourris, des vêtements larges, comme une robe. Ce devait être une femme, impossible de le dire dans la nuit noire et rouge de la pleine lune. Il plante sa lame dans la nuque fine du monstre. Les vertèbres craquent. La chair blanche, striée de veines noires s’éclaire à peine. Télémake n’a plus beaucoup de sel. Il achève son geste dans un effort de volonté. Sans sel, l’argent coupe moins bien dans les chairs des damnés. La tête tombe.

Télémake lâche la robe et donne des grands coups de patin pour rattraper le zombie qui l’a devancé dans sa course. Télémake attrape la goule par le poignet. Il ne porte que des mitaines, ses doigts touchent la chair froide du monstre, aussi froide que sa propre peau mais gluante et flasque. Sensation de la mort qui le fait frissonner, cette mort suspendue au-dessus de son existence comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Télémake tire sur le bras du monstre avec un cri de rage. Sa force décuplée par la colère et la peur, il tranche la tête de la goule d’un coup net.

 Il est entouré de monstres qui se ruent sur Simon, qui est à moins de 10 mètres de là. Télémake slalomme entre leurs pas malhabiles de zombies mal nourris. Leur aura est aussi noire que le néant. Ghola parmi les gholas, Télémake atteint Simon le premier.

 Simon s’est accroupi. Il essaie de repousser les corps sans tête qui se vautrent sur lui, qui l’agrippent à défaut de pouvoir le mordre au sang. Son sang coule depuis la blessure à l’arrière de son crâne. Télémake s’efforce de ne pas regarder ce sang qui scintille à la lumière de la lune, la lueur de son aura de vivant. Celle qui donne faim.

 Le garçon met un genou à terre et tend son arme vers les zombies qui forment un mur devant eux. Il dit :

–          Reste caché derrière les corps. S’il y en a beaucoup, les autres pourront pas t’atteindre, tu pourras tenir le temps que les gars reviennent avec les veilleurs.

Simon ouvre de grands yeux incrédules sur ce frêle gamin qui veut faire barrière de son corps. Il secoue la tête :

–          C’est stupide Télémake. Ils ont senti mon sang, c’est trop tard pour moi. Fuis, laisse-moi. Profite-en pour grimper sur les piliers du pont. Si tu sautes au centre de la rivière, la profondeur te permettra de nager sans te faire attraper. Tu as compris ?

 Mais Télémake ne l’entend pas. Il n’entend plus rien que les cris de la horde à laquelle il fait face. Télémake ne voit pas son ami se dresser de toute sa hauteur d’homme pour combattre à ses côtés. Il ne voit pas le couteau de Simon, noir à la lueur de la lune, lame d’acier, qui n’a pas de sel, car le sel est trop cher pour sa famille. Télémake ne voit pas non plus le flot de monstres qui se déversent par le grillage comme des cafards noirs.

 Il ne voit que les zombies les plus proches de lui, les ennemis à abattre. Il bondit sur ses rollers et frappe de droite et de gauche, arrachant les têtes ou mutilant les gorges, car rien d’autre ne compte que ces dents pourries qui ont soif de sang humain, du sang de son seul ami.

 Il ne sent pas la fatigue, il ne sent que la faim grandir dans son ventre, faim d’une puissance qu’il ne possède pas et n’a jamais possédé.

 Le monde devient un enfer noir de gueules avides et de yeux vides, de mains glabres et de visages blafards. La lame d’argent tranche de moins en moins bien, les chairs pourries ne crépitent plus d’étincelles. Il n’a plus de sel.

 Un cri déchire le silence. Un cri de douleur et de terreur. Un cri de désespoir, car tout fini quand on a été mordu.

C’est fini.

 Tout est fini.

Télémake repousse les goules qui grouillent entre lui et Simon. Il arrive juste à temps pour voir son ami planter son couteau dans la tête accrochée à son bras comme un pittbull à la gorge d’un enfant. Le monstre tombe à la renverse avec la bouche pleine de chairs et de sang.

 Les goules cessent de s’agiter. Elles restent immobiles, un instant désorientées. L’unique proie a été bouffée.

 Simon observe incrédule son avant-bras nu et creusé d’une morsure humaine. Le sang rouge et lumineux vire au noir sous les rayons de la lune. Le sang cristallise dans les veines de sa main. Une étrange rosace noire se forme autour de sa blessure. Le motif remonte le long de son bras. Sa peau palie à mesure, comme si les cristaux de sang noir migraient pour former des lettres et des symboles anciens.

 Simon regarde son bras blessé, sa main dans la paume de laquelle s’est formé une sorte de triskel, puis il regarde son autre main, encore indemne.

 Les fines veines dans le blanc de ses yeux éclatent une à une. Ses globes oculaires noircissent lentement. Il regarde le monde autour de lui avec l’air émerveillé d’un enfant qui découvre un paysage fantastique. Il regarde alors Télémake avec les yeux de l’autre monde. Il dit :

 –          Il y a un truc rouge autour de moi. C’est mon aura ?

–          Oui, répond Télémake dans un sanglot.

–          Pourquoi la tienne est noire, alors ? Elle est noire comme celle des gholas ?

–          Désolé…

 Désolé de ne pas t’avoir sauvé, désolé d’être un monstre moi aussi.

 L’aura rouge de Simon commence à virer au noir comme si quelqu’un injectait de l’encre dans un verre de sang. Simon n’a plus que quelques minutes à vivre. Ses yeux tâchés d’encre se plissent. Il réfléchit à cent à l’heure, comme réfléchit celui qui est acculé, il demande :

–          Tu as été mordu, c’est ça ? Dis-moi comment t’as fait pour survivre toi ?

Télémake secoue la tête. Il perd son équilibre lorsque une goule lui tombe dessus en essayant de le mordre. C’est la première fois depuis deux ans qu’une goule essaie de le mordre. Il ne pensait même pas que c’était encore possible. Télémake repousse le monstre qui change de cap docilement. Le mort se tourne vers la cité et part de son pas claudiquant. L’odeur des vivants doit être plus douce que la sienne. Télémake s’approche de Simon. Son ami a terriblement pâli. Les marques noires de la malédiction ont recouvert son bras, elles remontent sur son cou. Le garçon dit :

–          Désolé… Tu peux pas Simon. Pas la nuit, pas avec la pleine lune. Si tu pouvais… je te dirais…

Simon l’attrape par le col de son tee-shirt de sa main indemne :

–          Dis-moi comment t’as fait ?!!!

C’est un cri terrible, désespéré, trahi. Télémake s’étrangle dans un sanglot. Il pleure des larmes de sang noir, un sang douloureux, épais et visqueux qui cristallise sur ses joues à la lumière rouge de la lune.

–          Pardon… Murmure-t-il en reculant.

Simon le domine de toute sa taille :

–          DIS-MOI !!!

Mais une ombre noire s’abat sur Simon. Bruit de vêtements froissés ou d’ailes d’oiseau. Un éclair d’argent dans la nuit. Une longue lame traverse la poitrine de Simon, en plein à l’endroit du cœur. Des étincelles argentées crépitent autour de la blessure. La lame se retire. Simon tombe à genoux avec un hurlement de douleur. Un homme se tient derrière Simon. Il a plus de quarante ans, la peau pâle comme la mort, les yeux brillants comme ceux d’un chat. Ses longs cheveux d’argent retombent sur une cape noire et déchirée. L’homme porte une armure de kevlar, renforcée de plaques de céramique noire, raillées par des dents, des griffes ou des coups d’épée. Un écusson d’argent est cousu sur son amure. Le blason représente un serpent aux ailes d’ange : le dragon de l’apocalypse. C’est l’armoirie de l’ordre des chevaliers de Saint-Mickaël. Le chevalier brandit son épée à deux mains au-dessus de sa tête. Simon se retourne et lève un regard vide sur son bourreau. Le chevalier dit d’une voix plus froide que celle d’un serpent :

–          Ce lâche a volé l’âme d’un autre pour rester en vie. Il a damné l’âme d’un autre à sa place. Tu es prêt à faire ça, toi ?

L’horreur passe dans les yeux noirs de Simon lorsqu’il comprend. Il secoue la tête avec désespoir. Même au bord de la transformation, aux portes de la mort, il ne ferait jamais ça, lui.

Des larmes blanches et salées coulent sur ses joues comme des traînées d’acide, brûlant sa peau maudite. Il se tourne vers Télémake et dit :

–          Prend soin de Taya…

Le chevalier abat son épée. La pointe de la lame perce l’arrière du crâne de Simon et ressort par son front. Puis il enfonce son gant dans le dos de Simon, dans sa blessure au coeur. Il dépose une capsule blanche dedans. La capsule explose, libérant de l’eau surconcentrée en sel à l’intérieur de son cœur explosé, qui continue à pomper, cœur de mort vivant.

 Un hurlement terrible, un cri de bête torturée s’échappe de la gorge de Simon. Son corps tressaute, prisonnier de l’épée dans son crâne.

 Le sel bouffe son cœur, se répand dans son système sanguin, comme un trait de feu argenté. Les flammes d’argent remontent le long des marques noires sur sa peau et les brûlent dans des vapeurs irisées. Les dernières traces de sang noir se dissolvent dans la lumière. Simon cesse de bouger, il est mort, purifié.

 –          Paix à son âme. Dit le chevalier en faisant le signe de la croix.

Ses cheveux d’argent et sa cape de nuit volent dans le tourbillon d’énergie qui entoure le corps à ses pieds. Son aura noire est traversée de veines blanches. Sa silhouette de ténèbres et d’argent est à la fois ange et démon.  Il semble plus grand qu’il ne l’est, grandit par la puissance qui émane de lui. Télémake n’arrive plus à respirer.  La peur. La terreur qu’on ressent face à un mort-vivant mêlé à une volonté terrible. Le moine tourne ses yeux méprisants sur Télémake. Il tend son épée vers sa poitrine. Le garçon recule en marchant sur ses rollers, trop pétrifié pour penser à glisser.

 Il va me tuer…

Il veut crier mais par un son de cloche résonne soudain, clair et rapide. C’est le tocsin, Taya et les gars ont donné l’alerte. D’ici quelques minutes, un groupe de veilleurs armés descendront la rivière pour les récupérer. Télémake a une pensée soudaine. Il n’a qu’à remonter la rivière. Ils le protègeront!

Télémake bondit sur le bitume à un mètre de lui. Il part à toute vitesse sur ses rollers et slalome à travers la foule des goules qui les entourent. Il bondit par-dessus les modules d’échauffement et glisse dans les pentes pour perdre le chevalier et prendre de la vitesse. Filant sans se retourner, il s’engage sur le sentier de béton qui serpente le long de la rive. Remonter la rivière, c’est tout ce qui compte, rejoindre les siens. Les veilleurs pourront le protéger. Le Bokor pourra le protéger.

En approchant de la grille qui ferme le skate park, il lève son couteau pour forcer le cadenas. Mais au moment où il enclenche la lame dans la chaîne, une main gantée de noir lui saisit le poignet. Télémake lève les yeux, il croise le regard noir et brillant du moine-chevalier. Calmement, comme s’il l’attendait depuis une heure déjà, l’homme lui dit :

–          Tu n’iras nulle part.

La main sur son poignet serre si fort que les os de Télémake craquent. Son couteau lui échappe des mains. Télémake recule. Il lève un regard désespéré sur le chevalier. Sa mâchoire carrée et son nez cassé lui donnent l’air d’un dieu brisé. Il n’y a pas de haine dans ses yeux brillant, juste du mépris et de la tristesse.

L’homme dit :

–          Tu as le choix entre mourir par le sel pour expier tes pêchés ou mourir damné.

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La Suite Demain! Episode 3: le Bokor.

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Auteur : Ghaan Ima

J’écris depuis 10 ans, j’ai des idées plein la tête d’univers de SFF inspirés de mangas : geeks, otakus, anarchistes sur les bords et un peu barrés.