Demon Heart 9. Les âmes s’allient, l’antre du démon

Sorayah en écolière devant une mosaique représentant Yggdrasil, l'arbre de vie
© yumeao

DEMON HEART

Acte 2 : Les alliés de l’ombre Episode 9. Les âmes s’allient, l’antre du démon

Une Histoire gratuite de démon / Lire le prologue

Sorayah émerge d’un lac noir. Elle crache une eau poudreuse. Derrière elle, une cascade d’eau noire s’abat dans le lac sans faire le moindre bruit. Sorayah lève la tête. Très haut dans le ciel, à la source de la cascade, il y a la lumière du paradis. Alors que Sorayah regarde la lumière, elle se sent soulevée de l’eau. Elle prend pieds sur une surface de verre noir, mais elle se sent si légère, comme si elle n’avait qu’à sauter pour s’envoler vers la lumière du paradis. Elle secoue la tête.

Je ne dois pas…

Un miaulement perce le silence. Un chat noir surgit de la cascade et se dirige vers Sorayah. C’est Belzébaka. Mais pas vraiment lui. Il a trois yeux qui scintillent comme des émeraudes et il doit avoir au moins une dizaine de queues. Elles sont fines comme les crins d’un cheval. Le chat s’écroue devant Sorayah projetant des gouttes d’eau poudreuse qui rebondissent sur le lac noir. Un sourire s’élargit sur le visage de Sorayah :

–          Belzé !

Sorayah se baisse pour le prendre dans ses bras mais le chat lui envoie un grand coup de griffes. Belzébaka se met à gratter la surface du lac avec la même frénésie qu’il gratte sa litière.

Le lac devient transparent. L’enfer se dessine au dessous. C’est un désert de sable blanc parsemé de fleurs rouges comme des gouttes de sang. Un soleil de rubis brille rouge et aveuglant dans un ciel noir. A perte de vue : de la nuit, du sel et du rubis. En regardant mieux, on voit se découper des corps gris, des corps allongés qui tendent la main comme s’il étaient morts en essayant d’attraper quelque chose. Ils sont desséchés, le sel et le soleil rouge les ont vidés de leur eau jusqu’à ce que leur peau parcheminée laisse apercevoir le rubis au centre de leur corps. Car toutes ces fleurs rouges sont en fait des cœurs de rubis. Ils sont presques éteints. Seul un rubis brille, presque aussi fort que le soleil rouge, c’est le cœur de Galadriel.

La dame blanche se tient debout, bras écartés entre Sorayah et un monstre aux yeux de rubis. Il a deux têtes à la peau brillante et rose comme celle d’un bébé sur un corps de lézard. Il ouvre une de ses gueules bordées de dents pointues. Il bondit soudain sur Galadriel et lui tranche le bras droit d’un coup de crocs. D’autres monstres surgissent. Ils fondent sur Galadriel et se battent entre eux pour la dévorer.

Le cœur de Sorayah manque un battement : La reine elfe est en train de se faire dévorer pour la protéger.

L’un des monstres s’approche de Sorayah. Il a un long corps de salamandre, une corne semblable à une verrue sur la tête et une peau si fine qu’elle laisse voir ses entrailles roses.

Le chat a fini de creuser le lac. La puanteur de l’enfer atteint Sorayah : odeur pourrie du souffre et écoeurante du sang. Sorayah recule. Le chat saute dans le trou. Des gouttes d’eau poudreuses éclaboussent Sorayah. Les petites billes roulent sans la mouiller. Le hurlement de Galadriel déchire tout. Le monstre à deux têtes vient de croquer son cœur. Au même instant, la salamandre se détend dans les airs, mâchoires ouvertes. Elle file droit sur Sorayah.

Sorayah plonge dans le trou. L’eau noire la submerge.

Sorayah prend pieds dans le désert blanc. Le sel glisse sous ses pieds. L’air est 10 fois plus chaud qu’un sauna. Une ombre est sur elle. Sorayah roule sur le côté. Elle esquive in extremis les mâchoires de la salamandre. Une de ses griffes lui emporte un morceau de chair sur la cuisse. Sa jupe plissée se tâche de sang. Sorayah hurle. Tous les démons tournent leurs visages monstrueux vers elle. Tous sauf un. Le démon qui a mangé Galadriel s’enfuit en jetant des regards affolés autour de lui avec ses deux têtes.

Belzébaka se lance à sa poursuite. Sorayah bondit sur la droite pour éviter des tentacules visqueux. Des monstres surgissent de partout. Là bas en avant, le chat se retourne pour miauler après Sorayah.

Je dois rattraper Galadriel…

Sorayah bondit entre les monstres pour rejoindre Belzé. Les démons s’élancent à sa poursuite. Elle n’a jamais couru si vite, si longtemps. Courir dans le sel est comme courir dans le sable. Les pieds s’enfoncent et c’est presque impossible d’avancer. Mais Sorayah y met toutes ses forces. L’air lui brûle les poumons.

Mais je n’ai pas besoin d’air

Un démon se place droit sur sa trajectoire, elle bondit aussi haut qu’un cosmonaute sur la lune. Un autre démon vole à sa rencontre. Il a des ailes de chauve-souris, quatre mamelles pendantes, une corne au front et cinq yeux rouges. Impossible de l’esquiver. L’aura qui entoure le démon est rouge. Sa petite gueule de chauve-souris s’ouvre jusqu’aux oreilles, ses bras s’allongent pour attraper Sorayah. L’angoisse saisit la jeune fille, elle voudrait fuir mais elle ne le peut pas. Sa trajectoire l’emmène droit dans les griffes du démon. Elle doit se battre. Elle s’écrie :

–          Me touche pas !!!

Sorayah balance un coup de poing dans la gueule aux dents pointues de la chauve-souris. Son poing est chargé d’une lumière rose comme le soleil levant. La bête est projetée contre le sol. Le sel blanc gigle dans le ciel noir. Le bruit des os qui se brisent fait frissonner Sorayah. Derrière elle, les démons s’arrêtent. Ils reculent.

La jeune fille retombe à une dizaine de mètres du monstre qu’elle poursuit. Le monstre à deux têtes se tourne à peine pour la regarder. Il accélère sa course avec Belzébaka sur ses talons. Sorayah s’enfonce dans le sel meuble comme du sable mouvant. Elle s’en arrache et hurle :

–          Arrête-toi !!!

Le monstre panique et trébuche. Son gros corps rose roule dans le sel. Il rampe jusqu’à la gueule d’une caverne qui vient de s’ouvrir dans le sol devant lui.

Sorayah rattrape Belzébaka à l’orée de la caverne. Elle est formée d’arcs de pierres blanche qui ressemble à des côtes. On dirait les restes d’une cage thoracique de géant. La puanteur qui s’en échappe est insoutenable. Ça sent le cadavre.

Sorayah sent son ventre se tordre. Galadriel est là dedans. Il faut qu’elle rentre là-dedans.

Elle a envie de tourner les talons.

D’abandonner Galadriel.

De se protéger.

Mais elle avait enfin trouvé une personne pour l’aider ou simplement pour être là avec elle. Et Galadriel a essayé de la défendre.

Je ne peux pas l’abandonner…

C’est ce que Karine aurais fait. Karine qui avait le courage de s’habiller à sa façon, de regarder les groupes qui l’agressaient de haut alors qu’elle est si petite.

Sorayah prend une grande inspiration. Elle pénètre dans l’antre de la bête. Il fait noir. Elle n’apperçoit que les yeux verts de Belzébaka lorsqu’il se retourne vers elle. Des runes d’émeraude s’entortillent autour de ses queues qu’il remue avec vigueur. Sorayah essaie de le rattraper mais elle trébuche soudain et tombe à terre. Le chat tourne ses trois yeux pour miauler avec agacement. Sorayah prend appuie pour se relever mais le sol bouge sous et gémit de douleur.

Vivant !

Frisson d’horreur, Sorayah bondit sur ses pieds et s’éloigne sans se retourner. Quelque chose au fond de son cœur se durcit.

Je dois sauver Galadriel, d’abord elle, puis mon frère

Elle ne peut pas sauver tout le monde.

Une lueur bleutée apparaît au bout du couloir et lui permet de voir les obstacles devant elle. Le sol est jonché de corps humains à moitié enterrés. Sorayah les évite avec soin et parvient jusqu’à une grotte gigantesque. Des stalactites et des stalagmites de calcaire blanc percent la grotte. Une odeur de cadavre presque visible glisse entre les dents de la grotte. Les poils du chat se hérissent soudain. Il se carapate dans l’autre sens. On ne voit bientôt plus que ses dix queues tandis qu’il fuit. Ce n’est qu’un chat après tout. Sorayah sent ses entrailles se tordre. Elle est seule.

Elle contourne la rangée de dents.

Un chevalier noir se tient au centre d’un monceau de cadavres gris et fripés comme s’il avaient été vidés de leur eau. Il est monté sur un cheval sans tête. Sa monture est cuirassée d’acier noir comme lui. Le casque intégral du chevalier a la forme d’une tête de lézard. Deux longues cornes d’acier percent son front. D’une patte lourde comme une enclume, son destrier écrase un gros corps rose. Le ventre rebondi est grand ouvert. Des perles de rubis sont répandues sur le sol, exsangues et fendillées. L’une d’elle doit être Galadriel.

Le bébé lève ses deux têtes édentées vers Sorayah. Il couine comme un chien. Le cheval d’acier l’écrase un peu plus. Il se tait.

–          Donne-moi ton nom. Dit le démon, invisible derrière son casque.

« Ne donne pas ton nom, les noms ont du pouvoir… »

Le démon élève la voix :

–          Je te donnerais l’âme que tu veux si tu me donnes ton nom.

Cette voix lui vrille les nerfs. Le démon tend une main devant lui. Dans sa paume, une petite pieuvre blanche se roule en boule autour de son cœur de rubis.

C’est Galadriel ! Pense Sorayah instinctivement.

Il pourrait la briser d’un geste. La panique saisit Sorayah. Elle lève les mains comme on se rend à la police. Elle fait un pas en avant. Le cheval recule.

Il a peur de moi ?

Le bébé à deux têtes est libéré du pied qui l’écrasait. Le monstre rampe pour s’éloigner mais le démon plante sa main cuirassée dans son torse. Il en extrait un cœur de rubis veiné de noir. Le gros corps de bébé disparaît d’un coup. Les quelques âmes qui restaient dans son ventre tombent sur le sol. La lampe de plastique roule sur le sol, inutile.

Le chevalier presse le cœur du monstre disparu entre ses doigts gainés d’acier. Le rubis se brise dans un crissement. Un hurlement retentit, si aigu qu’il fait mal aux oreilles.

Le démon rouvre la main. Dans sa paume, il ne reste qu’un fragment de rubis saignant. Il le jette au sol. Le cheval lève un sabot pour l’écraser.

Je veux pas…

Sorayah lui fonce dessus et le heurte de plein fouet pour le faire tomber de cheval. Mais elle s’écrase aussi durement que contre un mur de béton. Alors qu’elle retombe, sonnée, il l’attrape par le cou. Il la tient à bout de bras. Il serre. Les os de sa nuque craquent. Rien à foutre ! Sorayah se débat. Mais ni ses pieds, ni ses poings n’arrivent à l’atteindre. Ses ongles se brisent sur son armure noire. Le chevalier tonne :

–          Tu as cru que j’avais peur de toi ? Tu crois qu’un ange déchu a quelque chose à craindre d’une humaine ?

Usant son dernier souffle, elle crache :

–          Si tu me bouffes, je t’ouvrirais le bide de l’intérieur, connard !

–          Tu me confonds avec ces misérables démons qui ont peur de descendre aux enfers ? Je ne suis pas Phênex !

Du dos de la main qui tient encore Galadriel, le démon repousse la visière de son casque de reptile. Une haleine fétide de mort vivant se répand. Sorayah cesse de se débattre.

Ce qu’elle voit la terrifie.

C’est un ver dans une armure de fer. Ça a une peau translucide sur une chair aux veines bleues. Des dizaines de petits yeux de saphir scintillent sur sa face. Deux cornes semblables à des verrues sortent de la tête du ver. Une ouverture verticale fend ce faux visage de part en part.

C’est sa bouche ça ?

 Le démon lève le cœur de Galadriel vers sa bouche, qui s’ouvre en grand. La petite pieuvre aux grands yeux rouges pend au bout de son cœur. Le démon l’engloutit. Un faible cri provient de ses entrailles, puis plus rien.

 Le démon jette Sorayah au sol. Elle s’écrase face contre terre. Le chevalier ver dit :

–          Maintenant, montre-moi comment tu combats.

 Sorayah s’appuie sur ses mains pour se redresser. Ses yeux noirs brûlent. Elle pose un genou au sol et bondit, le poing en avant.

 Mais au moment où elle va frapper le ver, son visage gluant s’ouvre comme une tulipe. La main de Sorayah le traverse et arrache son casque noir. Emportée par son élan, Sorayah s’écrase contre l’armure du démon. Il plante ses griffes dans son sac à dos pour l’empêcher de fuir. Le métal traverse le sac à dos et ses vêtements pour se planter dans sa chair. Claquement sec. Les griffes de métal se brisent dans le corps de Sorayah. Les éclats s’enfoncent plus profondément. Elle hurle.

Le ver penche son visage fendu en deux vers le sien :

–          Un baiser humaine ?

Elle réprime un cri. Elle presse son visage contre l’armure pour éviter cette bouche immonde. Quelque chose lui effleure les cheveux. Elle se tord pour échapper à ses griffes. La douleur est terrible. Son sac à dos se déchire.

Mon sac !

Sorayah dégage ses bras des bandoulières du sac. Elle glisse au sol. Son cheval lève une patte lourde comme une enclume pour l’écraser. Sorayah se jette sur le côté.

 Elle s’accroupit, le regard fixe. Elle attend son prochain mouvement. Des spasmes lui tordent le dos. Les éclats de métal s’enfoncent encore. Le démon jette le sac avec rage. Son contenu se répand sur le sol. Parmi tous les objets, Sorayah ne voit que le couteau.

 Le démon suit la direction de son regard. Il n’a pas le temps de réagir, que déjà Sorayah a bondi. Elle attrape le couteau dans une culbute. Quand elle se relève, il est sur elle. Deux pinces de métal se tendent vers sa gorge. Sorayah vise le ventre du monstre. Elle enfonce la lame entre deux plaques de métal. Les lèvres bifides du ver s’entortillent sous le coup de la douleur. Il s’affale en avant, son cheval tombe avec lui.

 Sorayah roule entre ses lourdes pattes. Elle se relève, recule. Le démon et son cheval sont immobiles sur le sol. Sorayah comprend enfin : Les deux ne font qu’un, c’est un centaure.

 Les deux pétales de son visage de ver se sont figés, comme s’il était mort. Sorayah hésite longtemps. Finalement, elle s’approche, le couteau levé. Elle plante la lame dans la chair à la base de son cou. Le démon tressaille. Sorayah bondit en arrière. Les langues bleues s’agitent frénétiquement. Il émet un son strident étrange, comme si plusieurs voix criaient en même temps ou plutôt… riaient. Des rires de hyènes. Le démon tord les pétales qui forment son visage pour tourner ses dizaines d’yeux vers elle.

 Il regarde son couteau.

 Il n’y a pas une goutte de sang dessus. La lame est tordue. Sorayah la secoue, elle est souple comme une couleuvre.

 «  Un corps sans âme n’a pas de volonté »

 Son couteau ne sert à rien. Le démon continue à rire. Sorayah recule, d’un pas, puis deux, avant de partir en courant. Elle contourne deux rangées de stalagmites, mais la douleur dans son dos la rattrape. Elle tombe à genoux. Elle a l’impression que des bêtes la dévorent de l’intérieur. Terrible pressentiment :

 Peut-être que c’est le cas !

 Un coup ébranle le sol. Le démon s’est mis debout. Il approche. Ses pas lents résonnent comme un cœur qui va bientôt cesser de battre. Elle sent son souffle approcher, sent sa présence, voit bientôt son ombre… Sorayah ferme les yeux, terrifiée. Elle se recroqueville en position de fœtus. Le démon s’arrête.

–          Alors c’est pour ça que les rois des cercles inférieurs se battent ? Une gamine qui se cache ?

 Sorayah serre la lame inutile dans ses mains. Des larmes coulent sur ses joues. Elle ne libèrera personne, ni Galadriel, ni Ylan. Surtout pas Ylan, prisonnier de cette immonde araignée. Sorayah le sent, l’araignée est mille fois plus puissante que ce démon là. Et pourtant… Elle est incapable d’ouvrir les yeux. Elle n’est qu’une imbécile.

Une grande gueule

Stupide et faible

 C’en est trop.

 Sorayah hurle sa peur, sa tristesse et sa rage. Elle brandit la lame vers le tunnel qui mène à la surface.

–          Mais y’a pas quelqu’un pour venir dans mon couteau ?! Quelqu’un pour se battre avec moi ? Quelqu’un qui a le courage de Galadriel ???

–          Je n’en ai pas l’impression.

Le démon la domine de toute sa taille, plus gros, plus gros mais informe. Sa chair de ver bleu écartèle son armure. Des plaques de métal noir restent accrochées sur sa peau gluante. Il tend ses mains d’acier vers le cou de Sorayah.

 Mais une vague de vent brûlant se fait soudain sentir accompagnée d’un sifflement strident. Le démon arrête son geste. Sorayah sent sa peau grésiller. Une lueur verte rayonne derrière Sorayah. Le démon recule sur ses grosses pattes. Il semble terrifié par ce qu’il voit derrière elle. Sorayah se retourne. Elle protège de ses mains ses yeux asséchés. Un trou béant est apparu, qui donne sur un horrible paysage. A perte de vue, des monstres noirs sont figés comme des statues. Les démons ont été changés en pierre alors qu’ils se battaient les uns contre les autres, comme dans une arène de gladiateurs.

 La porte s’ouvre un peu plus. La porte est en fait une gueule de dragon. Le dragon a des écailles et une fourrure argentées. Ses crocs d’ivoire semblent avoir été polis. Ses grands yeux brillants de caniche ont la couleur des émeraudes. Des larmes blanches et irisées en coulent. Les larmes se transforment en perles en tombant sur le sol.

La chaleur intolérable vient du fond de sa gorge. Une silhouette se forme dans la lumière verte. Quelqu’un approche et passe la gueule du dragon.

 C’est un garçon, un peu plus jeune que Sorayah. Il a la peau sombre d’un métis, des traits fiers d’arabe et des yeux bleus délavés de scandinave. Il est habillé d’un pagne blanc et de sandales d’égyptien. Son visage et son torse sont couturés de cicatrices. Il porte des chaînes brisées aux pieds, des chaînes d’or. Derrière lui, le dragon referme sa gueule avec un soupir. Il disparaît. Le vent tombe. L’égyptien pose une main fraiche sur l’épaule de Sorayah. Une question rentre dans son esprit :

–          Pourquoi cries-tu ?

Le cœur de Sorayah va exploser. Trop de souvenirs affluent en même temps. Trop de peurs, trop de souffrances. Et par-dessus tout, il y a l’image de son frère captif et brisé.

 J’ai besoin d’aide…

 Le garçon pose ses mains sur la lame du couteau de cuisine. Il serre fort. Si la lame coupait, il se serait tranché les doigts.

 Si seulement elle coupait

 Un serpent gluant s’agrippe au bras de Sorayah. Le ver la tire en arrière. Elle bascule. Il a ouvert grand la gueule pour la bouffer. Sa gorge est hérissée de dents grouillantes. Et au fond, il y a un sceau bleu. Le symbole rappelle un bonhomme dont les mains seraient des flèches. Le monstre va l’engloutir.

 –          Je suis ton épée

 Sorayah brandit le couteau. L’acier est parcouru de hiéroglyphes noirs. Sorayah plante la lame dans la gorge du monstre jusqu’au manche. Les tentacules du démon se crispent si fort sur son bras que ses os craquent. Elle se déboite l’épaule pour lui faire face. Elle appuie sur le manche avec l’énergie de la terreur. Le couteau grince sur le métal de l’armure. Elle cède. La lame mord la chair du ver. Jaillissement de lumière bleue. La lame découpe le monstre du col jusqu’au milieu du corps. Il relâche le bras de Sorayah. Ses milles yeux la fixent ahuris.

Sorayah tombe à genoux. Ses mains tremblent, ou alors c’est le couteau qui tremble dans ses mains, comme s’il vibrait d’une énergie propre. Elle est incapable de le tenir plus longtemps. Le couteau lui échappe des mains. Les entrailles du démon lui tombent sur les épaules. Elles se transforment en vers de ténèbres qui se tortillent et s’enfouissent dans le sol.

 L’égyptien reprend forme autour du couteau. Il arrache la lame du corps du démon. Il plante une main dans le ventre béant. Il en ressort une âme rouge autour de laquelle on devine à peine une forme blanche.

 Galadriel

 Sorayah tend les mains comme un mendiant qui voudrait de l’eau. L’égyptien laisse tomber l’âme dans ses mains. Le monde devient flou.

 Une femme dont les cheveux ont l’éclat de la lune est assise sur un trône de marbre. Elle est parée de mille voiles plus blancs que des nuages. Mais aucune parure ne saurait être plus belle que les cheveux d’or répandus sur ses genoux. La petite fille a posé sa tête sur la reine. Elle dort. La reine jette un regard au trône vide à côté d’elle. Elle soupire. Elle porte une coupe d’or à ses lèvres. Elle s’étouffe. La coupe lui glisse des mains et rebondit au sol avec un son de cristal. Un liquide vert tâche sa robe. La femme s’enserre le cou à deux mains. Une contraction lui gonfle le visage et la force à se lever. L’enfant est jetée à terre. Une cascade d’or se répand sur le marbre. La tête de la petite rebondit sur le sol. De ses lèvres blanches coule une écume verte.

 La vision disparaît lorsque le cœur lui échappe des mains. Sorayah reprend conscience en entendant des bruits sourds et répétés : l’égyptien bourre de coup de poings un démon qui a cessé de se battre depuis longtemps.

–          Arrête ! S’écrie Sorayah.

Mais le garçon l’ignore comme seul Belzébaka sait le faire. Il plonge sa main dans le ventre du démon et en extrait un cœur bleu veiné de noir. Le corps du démon disparaît comme par enchantement. Le garçon jette le cœur au loin et range le couteau dans un fourreau de cuir à sa ceinture. Il vient s’agenouiller à côté de Sorayah.

 Sorayah essaie de se lever mais une affreuse douleur lui tord l’échine. Quelque chose bouge dans son dos. Elle retombe à genoux. Elle tremble de douleur, de dégoût et de terreur. De terreur pour cette chose dans son dos mais aussi de terreur devant le garçon. Ses traits sont durs et son corps est couvert de cicatrices. Son regard bleu est froid comme la glace. Ses lèvres semblent scellées par le silence et l’amertume.

Il la force à se tourner pour examiner les blessures de son dos. Il approche sa main et soudain, il lui arrache la moelle épinière.

 C’est l’impression qu’en a Sorayah.

 Elle hurle de douleur.

 La douleur diminue soudain. Sorayah rouvre des yeux plein de larmes de rubis. Le monde est rouge. L’égyptien lui montre l’énorme asticot qu’il vient de retirer de son dos. La bête se tortille. Elle a une peau translucide parsemée de petits yeux bleus. Sorayah sent son estomac se soulever.

 C’était en moi

 Le garçon jette le vers au sol et l’écrase. Un jus de rubis gicle. Le garçon recommence à farfouiller dans les blessures de Sorayah. Elle se débat, il la maintient d’une main de fer. Il retire un deuxième vers, plus profond. Sorayah lui hurle d’arrêter.

 Mais il y en a un troisième, un quatrième…

La douleur s’arrête enfin.

 –          C’est fini ? Demande Sorayah brisée.

Le garçon hoche la tête. Elle baisse la tête. Elle a juste envie de s’étendre et d’en finir. D’en finir avec la douleur, avec la chaleur étouffante et l’odeur écoeurante de l’enfer. Avec ces images horribles qui l’assaillent. Elle a la vision de tous les démons qu’elle vient de combattre, de ces vers qu’elle avait en elle, de cette pauvre petite Galadriel réduite à un cœur tremblant. Sorayah serre ses bras autour de sa poitrine.

 Mais qu’est-ce que je fais là ?J’aurais jamais dû venir… Je veux rentrer… C’est un cauchemar… juste un cauchemar…

 Elle oscille d’avant en arrière comme un automate, sans plus avoir conscience du monde autour d’elle. Mais elle sent soudain une main fraîche se poser sur les blessures de son dos. Sensation rassurante. La douleur de Sorayah s’apaise peu à peu. Le garçon pose une main sur le bras de Sorayah brisé pendant son combat. Son bras se soigne. Mais la peur est toujours là, elle se sent comme un petit enfant qu’on abandonne dans une nuit glacée. Elle tremble. Le garçon la prend dans ses bras. Sorayah se laisse aller contre lui. Il enfouit son visage dans ses cheveux.

 Je suis là, avec toi, tu n’as plus à avoir peur

 Une voix s’écrie soudain :

–          Tu vas pas rester comme ça toute l’éternité !?

C’est une voix de fille. Sorayah rouvre les yeux.

 Karine est là. Elle la toise en plissant ses yeux maquillés au charbon. Sa peau est un peu plus pâle qu’à l’habitude. Ses cheveux en pagaille sont plus longs et plus brillant. Elle porte ses vêtements d’emo qu’elle aime tant et qu’elle n’a pas le droit de porter à l’école : tee-shirt et jeans noirs et déchirés, agrémentés de breloques gothiques. La petite emo se baisse pour ramasser le cœur de Galadriel qui a roulé au sol. Elle le range dans le sac à dos. Elle dit :

–          Laisse-la dormir. C’est fini. J’ai tout ramassé, on s’en va.

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A suivre: épisode 10. Les âmes se reprochent, le château du traître


Commentaire sur l’histoire: Enfin, on rencontre Erel! Il n’y a pas d’histoire d’amour sans triangle amoureux! Bon, OK, il est un peu bizarre ce garçon, c’est pas vraiment le beau gosse qu’on attendait. Mais moi, j’aime les sauvages et ce qui m’intéresse c’est ses pouvoirs ^-^. Sinon, j’imagine que vous vous demandez ce que Karine fait ici? Explication dans le prochain épisode ^^


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Auteur : Ghaan Ima

J’écris depuis 10 ans, j’ai des idées plein la tête d’univers de SFF inspirés de mangas : geeks, otakus, anarchistes sur les bords et un peu barrés.