Devenir écrivain: L’échelle des narrations et le rythme

échelle street art
©emilieleger sur Deviantart

Je lis pas mal sur Wattpad en ce moment. J’y vois souvent des idées géniales, mais qui restent des pitchs, pas des romans. Logique, Wattpad est peuplé d’écrivains de fanfictions. L’univers et les personnages sont bien connu, le but est d’avancer dans l’histoire pour avoir les détails croustillants. Résultat, la narration ressemble à un résumé et le rythme est trop rapide. Toujours dans mon optique de devenir écrivain, j’ai donc décidé d’analyser tout ça et de réfléchir sur ma propre façon d’écrire ^^

Outil 1: L’échelle des narrations

Tout d’abord, pour fixer les idées, un rappel des différents modes de narration existants que l’on peut ranger selon une échelle:

  • Exposition : Ex. Les cinq années qui suivirent, le chat grandit, poussant de plus en plus loin ses explorations et se battant pour se tailler un territoire à coups de griffes.
  • Narration dramatique : Ex. Son rival grondait. Le chat feula, les oreilles en arrière, le poil hérissé, prêt à bondir.
  • Dialogue : Ex. « Miaahhh ! »
  • Description des détails sensoriels : Ex. La nuit était noire, la lune éclairait à peine le jardin. Le battement des ailes d’un oiseau et le sifflement du vent rompaient seuls le silence.
  • Flux de conscience : Ex. Le chat ne pouvait pardonner à son rival. Il avait marqué de son odeur tous les arbres du quartier, poussant l’outrage jusqu’à essayer de s’emparer de son jardin.

Pour varier le rythme de l’histoire, on va vers le haut et le bas de cette échelle. Par exemple, quand on lit un texte en “flux de conscience”, un passage qui prend 5 minutes au lecteur à lire peut à peine couvrir 5 secondes de temps dans l’histoire. Avec l’exposition, où on survole les événements et où on explique au lieu de décrire, cela va très vite. On peut passer un paragraphe à reporter des événements qui, dans l’histoire, se déroulent sur des années. Lors d’une scène d’action, pour accélérer le rythme, on ne garde des descriptions et des pensées du personnage que les détails indispensables pour faire avancer l’histoire. Et vice-versa, si on veut que le lecteur se pose un peu, on revient sur la description et le flux de pensées.

Outil 2 : La ponctuation du récit et le souffle

Dans un texte, la ponctuation est là pour nous faire respirer. Faite attention à votre souffle lorsque vous écrivez ou bien relisez-vous à haute voix. Cela vous donnera une indication sur le rythme de vos phrases. Flaubert avait un gueuloir pour lancer à voix haute chacune des phrases qu’il écrivait et réécrivait sans relâche jusqu’à atteindre la perfection.

Le lecteur retient son souffle quand il lit une phrase, cognitivement parlant ^^ La longueur des phrases a donc un impact sur la compréhension et sur le ressenti du rythme. Ainsi, pour donner une sensation artificielle de vitesse et de tension, on peut utiliser des phrases courtes. On peut aussi accélérer le rythme en cassant la structure des phrases : éliminer le verbe, jeter un mot comme on jette un cri.

Ex. « Le chien gagnait du terrain. Le chat accéléra. Son souffle si proche… Un arbre ! Vite, grimper ! »

 Au contraire, pour ralentir le rythme, on peut utiliser des phrases et des paragraphes plus longs. On peut ajouter des détails sur des éléments non cruciaux, de l’introspection,  interrompre l’action pour parler d’une scène qui se déroule en parallèle. On peut aussi s’amuser à juxtaposer les propositions relatives pour donner de la force à une idée.

Ex. « C’était un bien mauvais chat, qui arrachait les rideaux, qui les déchirait jusqu’à ce qu’il n’en reste que des miettes. »

Mais bon c’est pas très joli. Un bon allié est le point-virgule qui permet d’éviter les juxtapositions de phrases et en même temps les phrases trop longues. A la lecture orale, on baisse la voix mais sans tout à fait l’éteindre (merci à Béatrice Aubeterre pour l’idée et le lien ^^). Autre technique, mais dangereuse et à n’utiliser qu’en ultime recours pour ralentir le rythme : on peut développer une métaphore. Victor Hugo était un chef pour ça ! Par exemple, dans « 93 », il tartine trois pages sur une comparaison entre un canon qui glisse sur le pont d’un bateau et un taureau. J’ai aussi lu quelque part la technique d’un auteur pour ralentir ses récits. Il lisait de la poésie avant de se lancer dans l’écriture. Perso, c’est la meilleure façon de multiplier par trois mon travail en phase de relecture ^^.

Enfin, ne jamais perdre de vue que seule l’histoire compte. Ajouter des métaphores filées dans une scène d’action peut allonger votre texte mais va diminuer la tension. Est-ce une bonne idée ?

 Outil 3 : Montrer et évoquer

Règle d’or anglosaxone : « Show, don’t tell. » Montre, ne raconte pas !

Raconter consiste à  utiliser l’exposition pour raconter une histoire dans un format court. Cela crée un style très doux comme un conte de fées.

 Ex. « Le voyage du petit berger à travers la montagne du destin dura des jours et des nuits. Avançant contre le vent et la neige comme on se bat contre un démon fuyant, le garçon ne désespéra jamais et atteignit enfin le sommet de la montagne. Il s’engagea dans le tunnel sombre qui menait à l’antre du dragon. Quand il parvint dans la chambre secrète de la bête, il combattit avec l’épée que la fée des vents lui avait donnée. La magie des éléments était puissante et le dragon expira sous les coups de l’épée magique. »

On a l’impression d’être assis devant le feu, les yeux mi-clos pendant que la nourrice nous raconte une histoire. On voit vaguement passer une montagne et un dragon, visions poétiques mais lointaines et floues. A aucun moment, on ne lève la tête pour le regarder le reptile dans les yeux, à aucun moment on ne sent l’odeur des chairs cramées des chevaliers que le dragon a brûlé avant nous. Notre cœur ne bat pas la chamade. C’est pourquoi raconter ne suffit pas, il faut rentrer dans le sensitif pour nous faire ressentir le monde comme si on y était puis nous faire entrer dans l’action. Il faut montrer.

 Ex. « Ses doigts étaient gourds, piqués d’engelures, à peine capables de bouger. Autour de lui, le monde était blanc de flocons qui tombaient drus.  Sa capuche en fourrure enfoncée sur sa tête pour arrêter les flocons, les yeux à demi fermés, il progressait pas après pas, haletant dans la pente abrupte et s’enfonçant jusqu’aux genoux dans la poudreuse. Les sifflements du vent glacé recouvraient tout. Une rafale le repoussa soudain en arrière avec la force d’un démon. Il tomba à la renverse et resta là, allongé dans la neige, les larmes coulant de ses yeux et gelant sur ses joues.
« Je n’y arriverais jamais » pensa-t-il dans un sanglot désespéré.
La vision de sa petite sœur maigre à faire peur, affamée par les ravages du dragon le saisit soudain. Le sanglot se fit ouragan de douleur dans son cœur. Il se releva, comme un jouet brisé mais il se releva. Il fallait continuer, la survie du royaume en dépendait.
 »

Bon, pour le dragon on repassera car à ce rythme notre jeune héros n’est pas prêt d’arriver ^^ Ça prend beaucoup plus de lignes pour couvrir la même portion d’histoire, le rythme est plus lent mais l’impact émotionnel plus grand.

Outil 4 : Le juste équilibre

J’avais tendance à croire que l’on peut se passer des deux extrémités: l’exposition distante et les pensées intimes des personnages. Mais après des critiques violentes de mes relecteurs, j’ai compris que c’était faux!

Les descriptions, par exemple, permettent de fixer le monde dans l’esprit du lecteur. Il faut toujours un minimum de descriptions avant des dialogues ou une action, même si elle est parcimonieuse et habilement dissimulée. Le lecteur a de l’imagination, certes, mais il a besoin de quelques petits détails bien choisis pour voir naître un décor ou un personnage devant lui. Bien que je n’écrive pas à la première personne, j’ai tendance à voir le monde par les yeux de mon héros. S’il se contrefout d’un objet, je ne vois pas l’intérêt de le décrire. J’ai aussi tendance à utiliser ses mots, même si c’est de l’argot. On me le reproche souvent. De mon côté, je ne supporte pas les mots tarabiscotés mis devant les yeux d’une ado de 15 ans. Chacun ses goûts! Je vous renvoie ici sur les conseils de Stephen King, dans Ecriture: Mémoires d’un métier (mon maître à penser ^^).

L’exposition aussi a son importance. Si on zappe totalement ce mode de narration et qu’on “montre” tout, un petit roman prévu à 60kmots devient à la fin un roman fleuve de 150kmots, une plaie à corriger et surtout une plaie à lire (vécu!). Le lecteur, essoufflé, lassé, ne finira pas le livre. Il faut donc savoir quand poser la caméra et prendre la plume pour narrer tranquillement. On choisit les scènes clefs à montrer et à disséminer le long de l’histoire pour faire naître les émotions souhaitées. Si l’on suit l’exemple de notre petit berger, après cette scène « montrée » pour donner le ton, on peut résumer le reste du voyage et accélérer le temps avec de l’exposition puis peu à peu revenir dans la description et enfin dans l’action pour entamer une nouvelle scène choc. Par exemple, le moment où il affrontera les flammes du dragon ou lorsqu’il devra choisir entre se sacrifier pour sauver le village où fuir face au dragon.

Enfin, si on écrit un texte avec uniquement de l’action, des dialogues et des descriptions sensorielles, il en ressort une impression d’immédiateté et de frénésie. Le personnage et le lecteur enchaînent actions et sensations et n’ont jamais le temps de souffler et d’intégrer ce qu’ils viennent d’expérimenter. Le flux de conscience permet, lui, d’entrer dans la tête du personnage ou de voir par ses yeux. C’est un moment très important après une séquence clef. Que ressent l’héroïne après le baiser fougueux du prince? Que pense le héros en contemplant le cadavre de son pire ennemi à ses pieds? (quoi, mes exemples sont sexistes? :p). Le flux de conscience laisse au lecteur le temps de se reposer les yeux et de tourner son esprit vers son propre cœur. « Qu’a-t-il ressenti ? » « Qu’a-t-il retenu ? ».

D’un point de vue personnel, je mettrais un gros bémol à l’utilisation du flux de pensée: “jamais pendant l’action!” Je lis souvent des textes où l’action est entrecoupée de digressions, comme si le héros était un enfant hyperactif incapable de se concentrer. Voici l’effet que ça me fait:

 Ex. “L’indien encocha sa flèche. C’était une flèche de bois de hêtre telle que son père avait l’habitude d’en utiliser pour confectionner des cannes à pêche, souples et résistantes.

Et il est mort, le cow-boy! Il en a oublié d’esquiver la flèche ^^. Autre chose qui me hérisse le poil, c’est le syndrome « Chevaliers du Zodiaque ».

 Ex.  “L’indien encocha sa flèche. Mais au moment de tirer, il dit:
– Les visages pâles n’ont pas compris que ces terres étaient à nous. Je me souviens, enfant, lorsque je chassais le bison…

Bon, j’abuse un peu, mais je trouve que les digressions, pensées ou dialogues, lors de moments critiques, sont peu cohérentes avec la réalité de terrain. Elles éloignent le lecteur de la scène, dissipent l’impact émotionnel et nous font oublier l’urgence du moment, voire même, le fil des événements! Il ne faut pas oublier que la mémoire tampon d’un lecteur est limitée, comme celle d’un ordinateur ^^

Enfin, je poserais un bémol sur mon bémol (bémol2 😉 Une digression peut créer un effet “bullet time” à la Matrix juste à l’instant critique. Elle peut aussi traduire la panique ou le besoin de fuir dans l’imaginaire du personnage. Mais autant qu’elle soit identifiée et mûrement réfléchie.

Outil 5 : L’histoire en elle-même, doser les cliffhangers

On oublie souvent que ce qui accélère la lecture au delà de la ponctuation et de la façon de relater l’action, c’est les événements en eux-mêmes. Si votre héros est en plein combat, dans une situation de vie ou de mort (et si vous prenez garde à ne pas alourdir inutilement les phrases), le lecteur accélère la lecture automatiquement. Il se renfonce dans son siège, rapproche le livre et dévore les lignes. Hitchcock disait « Le rythme d’un film est entièrement déterminé par la capacité de garder l’esprit du spectateur occupé. […] C’est pour cette raison que le suspense est une chose si précieuse: il permet de tenir l’esprit du spectateur en alerte. » (Hitchcock par Hitchcock)

Côté roman, la fin d’un paragraphe ou d’un chapitre est un moment de point final, où le lecteur peut souffler. Si vous avez peur que le lecteur vous lâche, il faut finir les chapitres sur un gap ou un cliffhanger (précipice), c’est à dire un moment de grand suspense, l’attente d’une révélation, un retournement de situation ou une réaction imprévue d’un personnage. J’utilise beaucoup cette technique dans Demon Heart. Résultat un roman qui se lit vite et bien d’après mes bêtas mais une sensation bientôt oppressante d’essoufflement. Comme avec l’effet « flux de pensée », il faut faire des pauses dans l’histoire pour laisser au lecteur la possibilité d’intégrer ce qu’il vient de ressentir. Sinon, on risque de perdre le lecteur aussi efficacement que si toutes nos fins de chapitre se terminent comme une conclusion où tout est dit et rien ne reste à faire 😉

Christopher Vogler (encore un autre mentor ^^) conseille toujours de mettre une scène de « feu de camp » après le moment le plus fort d’un film. Lors de cette scène, les héros prennent le temps de se poser, de faire le bilan du chemin parcouru et de ce qu’il reste à parcourir. Avec l’écrit, je crois que d’une certaine façon, le feu de camp est nécessaire après chaque longue séquence d’action. Attention donc, à bien doser ses cliffhangers!

 Conclusion  : Accrocher les wagons

Plus la scène est critique, plus elle doit être montrée et non narrée. Comme dirait Emma Darwin, dans son article « Showing and tellling, the basics ».  “C’est comme un train: montrer c’est les wagons où tout arrive, raconter c’est les bons, forts et flexibles sas qui mènent d’un wagon à l’autre.” Elle dit aussi: “Raconter sert pour couvrir la distance lorsque tu en as besoin, ça a beaucoup de valeur. Et tu peux toujours le colorer avec la voix du personnage et et son point de vue – Rend le montr-able – même si tu es juste en train de couvrir la distance.”

Bref, il faut aussi savoir raconter, exposer, mais il y a une façon de le faire ! Raconter ne doit pas être un acte, qui éloigne le lecteur du héros pour le rapprocher du narrateur. Au contraire, il faut rester aux côtés du héros en ajoutant des détails tangibles et en donnant corps à la narration. Parler des feuilles qui tombent, plutôt que dire simplement que l’automne vient, glisser le sentiment du personnage et peu à peu revenir dans le “montré” pour atterrir en douceur dans la peau du héros au moment où survient une scène importante.

En fait, toute cette partie de mon post était très inspirée de l’article d’Emma (Showing and tellling, the basics). Elle donne des exemples sur la différence entre une bonne narration et une mauvaise narration. C’est en anglais, si vous voulez que je vous traduise des passages, dites-le en commentaire ^^

Enfin, le but ultime de la narration et du choix des scènes importantes, ce n’est pas le rythme, c’est de faire naître des émotions. Tout un art! J’essaierais d’en faire un prochain article. Quelques recherche en perspective…


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Auteur : Ghaan Ima

J’écris depuis 10 ans, j’ai des idées plein la tête d’univers de SFF inspirés de mangas : geeks, otakus, anarchistes sur les bords et un peu barrés.

  • Waouh, quel article intéressant ! Evidemment avec tes exemples c’est tout de suite plus vivant. Merci aussi pour la découverte de « Bémol au carré » 😉
    Maintenant il ne reste qu’une chose : « just do it » 😉

    • merci!! oui, je fais beaucoup de théorie mais parfois, la phase d’action laisse à désirer! je me soigne ^^
      lol, contente de t’avoir fait rire avec mes bêtises de matheuse reconvertie!